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Article décaféïné sans sucre

Tu veux un café ?

Cette phrase aux allures anodines, qui fleure bon l’apologie de la camaraderie qui se tape sur l’épaule, semble s’éloigner de plus en plus du simple aspect de la connivence amicale. Il y a encore quelques temps, cette entrée en matière était suivie de conversations diverses sur un nombre de sujets plus variés que le nombre de formes géométriques que peut prendre un flocon de neige (ceux qui ont un minimum de culture, même superficielle, en matière de manifestations hivernales naturelles savent que ce nombre équivaut à environ beaucoup).

Depuis l’avènement de l’expresso « do-it-yourself » figure-de-proué par G.Clooney en personne, le comportement vis-à-vis du p’tit noir (comme on osait encore dire dans les bistros avant que les extrémistes du langage lissé qui ne supportent pas qu’un noir soit noir ou qu’un vieux soit vieux ne fassent planer leur ombre terrifiante sur les zincs) semble avoir changé… A présent, la phrase sus-citée est facilement suivie d'un long échange concernant ledit café...

Pour être honnête, le terrain a été préparé depuis plusieurs années par la chaine des Starbucks qui avaient déjà commencé à transformer la dégustation arabiquée en expérience enivrante et enrichissante. Chez Starbucks, on ne boit pas un café : on participe à un événement, on fait partie d’un tout presque ésotérique dont seuls les initiés (que sont les consommateurs, bien sûr) connaissent l’origine du café, les secrets de sa torréfaction, le sens dans lequel il faut tenir sa tasse, l’inclinaison idéale de celle-ci pour que le travail des petits cueilleurs de café en Colombie ne soit pas spolié, l’art du bout-filtre dans la cafetière, bref, un tas de chose que le blaireau du Café de la Poste ignorera durant toute sa médiocre vie, déjà qu’il met un sucre dans son café ce con, alors hein, bon…!

Au-delà de cette expérience, nos braves industrieux qui ne manquent pas d’idées ont créé Nespresso. Mais n’ont-ils créé que cela ? Non ? What else alors ? Eh bien ils ont créé le Temple du café, avec une icône internationale, qui va bien plus loin que Starbucks. Dans les locaux de cette dernière marque, les gens buvaient chacun leur café et vivaient leur expérience chacun dans leur coin, en lisant Libération, ou bien un journal, ou encore en potassant leurs cours d’apprentis chômeurs, bref, comme dans n’importe quel troquet de France, de Navarre et des Kerguelen, mais sans se l’avouer (et en casquant un peu plus… Faut pas déconner quand même). Déjà, première chose, plus besoin de se déplacer jusqu’au Starbucks : le Café Ultime, tu le bois chez toi, comme pour un rapport intime, dans la pénombre de volets mi-clos dont le soleil, respectueux de la cérémonie caféinée, ne tentera que par un voyeurisme irrépressible et naturel de percer la pudique obturation derrière laquelle l'explosion des sens se fait entendre par petites déglutitions torrides... Ca m'excite...


Ensuite, et surtout, la dosette exclusive qui, seule, peut fournir la mixture sacrée, ne se trouve pas au Casino du coin, ni même chez Leclerc, encore moins chez Ali qui, même s'il est ouvert jusqu'à 22h, n'est ironiquement pas autorisé à vendre de l'arabica s'il est estampillé "What else". Pour se ravitailler, deux solutions et pas une de plus : la commande sur Internet, ou l'emplette directement au Temple ! Et ce dernier n'est pas un magasin, pas une boutique : c'est un plateau de cinéma ! On y met en scène le monde du kawa dans sa globalité la plus lucrative. On y est accueilli par un mâle et une femelle drapés dans l'uniforme règlementaire, chemisier couleur café crème (pour elle) et expresso-cravate (pour lui) dont le salut est proche de la révérence royale… On marque un temps pour vérifier qu’on ne vient pas d’entrer par mégarde à Buckingham Palace…

Importante stratégie commerciale : même si 95% des personnes qui viennent là le font pour faire le plein de petites dosettes colorées, ces dernières ne sont accessibles qu’après avoir traversé l’intégralité du magasin, autrement dit, après avoir été submergé de dizaines de cafetières neuves, de services à café, de boîtes de présentation, de coffrets promotionnels… Admettons que, comme moi, vous passez outre l’agression sponsorisée et filez directement au sous-sol (oui, car ils les cachent vraiment, ils veulent qu’on passe devant chaque produit en vente avant d’arriver à destination) : une fois en bas, après avoir ignoré les tasses en cristal, les pinces à sucre en dentelle, et autres accessoires très accessoires, on arrive enfin devant un comptoir dont l’austérité chic n’est pas sans rappeler les toilettes du Ritz. Là, le couple qui vous avait accueilli à l’entrée est déjà là, à moins que ce ne soient des clones, les employés étant tous absolument semblables, uniformisés et standardisés. Ami lecteur, c’est ici que se situe mon propos : n’essaye jamais, au grand jamais, de dérider les robots au sourire règlementaire (pas plus de 15 muscles sur les 29 qui permettent de sourire n’ont le droit d’être actionnés simultanément chez eux). J’ai essayé… Le bide total… L’absence d’écho… Un film de Bergman après avoir appris la mort d’un proche… Il y avait plus d’empathie en 1915 entre les habitants de Bitlis et les hachoirs turcs lors de l’invention de la pizza arménienne. On se dit que l’évocation de mot « thé » peut valoir une expulsion manu militari. Je ne me suis pas fait prier : j’ai emplété, serré les fesses, escaladé l’escalier à rampe de bois et de dorures de style néo-Leroy-Merlin version 16ème arrondissement, et j’ai fui sous les « Merci Monsieur, au revoir Monsieur… » qui se déclenchent automatiquement à l’encontre de tout être se dirigeant vers la sortie, vers la liberté, vers le troquet du coin de la rue…

Attention lecteur caféïno-dépendant, ne vois ici aucune diatribe contre la qualité du kawa Nespresso ou contre George Clooney, le premier étant en effet excellent, et ma ressemblance frappante avec le second m'empêchant naturellement de... ah... un instant... hmm... ok... on me dit dans l'oreillette que mon psy cherche à me joindre d'urgence pour reprendre le traitement anti-schizophrénie... Donc, je disais que malgré tout, le produit lui-même n'est pas mis en cause, mais une fois de plus, c'est la manière de nous l'enrober d'une obséquieuse vaseline formelle pour en faire glisser le besoin au plus profond de nous pour nous faire croire avec force artifice qu’on est "des leurs", "mieux que la moyenne", jusqu’à ce que l’illusion, au détour d’un café moulu, ne s’effondre.

Mais l’important dans tout ce billet, c’est quoi ? C’est très simple : je viens de vous faire perdre du temps avec une interminable logorrhée sur un sujet peu intéressant au demeurant, sans doute passionnant aux demeurés, mais il s’agit aussi de ne pas perdre de vue le titre et le but de ce blog…
Désolé pour cette conclusion hâtive et bâclée…
En plus, moi, j’ai une Senseo, alors...!



22/08/2010
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