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L'illusion égalitaire

"All animals are equal...
 
...but some animals are more equal than others".
 
Voilà ce que la section de propagande porcine a inscrit sur le mur de la grange de Manor Farm depuis l'avénement du Goret tout puissant.*

Le principe d'égalité est faussé dès le départ puisqu'on l'associe avec celui de la liberté. Mais forcer les hommes à être égaux, n'est-ce pas une entrave à la liberté ? N'est-ce pas un rabotage violent du droit à la différence ? Doit-on vraiment considérer comme égaux le gros con qui pique-nique grassement sur les pelouses interdites des sites de l'Unesco en y abandonnant ses canettes de bière, et l'employé municipal qui passe derrière pour les ramasser et rendre au lieu son aspect de tranquille éternité ? Est-ce que le cerbère du Paradis laisserait entrer, même avec des patins, le type qui crie des insultes racistes au Parc des Princes comme il a ouvert la porte à Mère Térésa ?

Je suis pour la liberté. Je suis contre l'idée d'égalité. Tout simplement parce qu'on ne peut pas faire cohabiter les deux dans un même esprit qui se voudrait cohérent. De plus, la liberté, c'est un principe naturel. Celui d'égalité est factice, il sert à lustrer les bonnes consciences et à justifier un gros défaut : la jalousie. Vauvenargues le dit mieux que moi : "la nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance". D'ailleurs, je ne pense pas qu'aucun philosophe n'ait jamais jugé que le principe d'égalité tienne debout sérieusement...

Il faut bien se mettre dans le crâne que les hommes ne sont pas et ne seront jamais égaux. Tout simplement parce que ceux qui en ont les moyens, ceux qui sont plus puissants, qui ont une position dominante dans un domaine ou un autre, tous ceux-là ne laisseraient pas faire, ils tiennent trop à leur petit rocher qui est un peu plus haut que les autres. Même les chantres de l'égalité qui n'ont que ce mot là à la bouche dans les manifs n'attendent rien d'autre que de prendre la place de ceux qui ont "plus qu'eux"... Je suis curieux de savoir qui, en toute honnêteté, serait prêt à vivre dans la plus parfaite égalité avec son voisin, celui qui vous parfume de son odeur de barbecue en été et qui met la musique trop fort le soir, ou avec celui qui fauche une gamine sur le trottoir avec sa bagnole lancée à 100km/h et 3 grammes de sang dans son alcool ? A moins qu'il crève aussi dans l'accident, je ne vois pas où on peut trouver un semblant d'équilibre dans ce cas de figure...

Alors quand pouvons-nous être tous sur un pied d'égalité ? Pas pendant la vie en tout cas. A la naissance, et à la mort. C'est tout.
A la naissance, le bébé qui se présente nu au monde et respire de l'air pour la première fois, peu importe qui il est, où il est, il est exactement le même que n'importe quel autre bébé. Mais au premier mot de l'adulte le plus proche, le mal est fait et le traitement commence à être différent. Et la progéniture deviendra un homme bon, un dictateur, un gros con, un suiveur, un faible... le choix est large. "Les hommes naissent égaux mais ils ne sauraient s'y tenir longtemps" disait Montesquieu, qui vaut bien deux Delacroix selon la Banque de France**.
L'égalité n'existe donc que quelques secondes dans la vie d'un être, humain ou animal, et ensuite, c'est la foire d'empoigne pour savoir qui piétinera au mieux son voisin. Le seul moment où l'homme se retrouve à nouveau dans la situation équitable avec son prochain, c'est lorsqu'il claque. Pour être honnête, c'est même après sa mort que l'homme est vraiment le semblable de ses semblables. Il y aura toujours un crétin qui, à l'article du dernier souffle, ricanera en se disant qu'il aura accumulé plus de pognon que son cousin, ce petit con qui lui piquait ses desserts lorsque, enfants, ils passaient leurs vacances ensemble dans le domaine familial de Versailles. Alors que post-mortem, comme le disait Desproges, "les droits de l'homme s'effacent devant ceux de l'asticot".
 
Alors, au final, comment concilier le goût des privilèges et le désir d'égalité ? Ce paradoxe, déjà souligné par De Gaulle, illustre mieux qu'aucun autre la lutte inégale (justement !) entre l'utopie et la réalité matérielle. Et c'est toujours cette dernière qui l'emporte car très peu sont capables de troquer un fauteuil personnel confortable contre un banc en bois à partager avec des moins nantis. Par contre, pour un fauteuil ergonomique avec système de massage des lombaires intégré, certains vendraient leur mère. L'égalité, on ne la désire qu'avec ceux qui ont plus, jamais avec ceux qui ont moins.
 
Et dans tous les cas, ceux qui prétendent instaurer un système égalitaire finiront toujours par garder le lait pour eux et par sortir les fouets, jusqu'à ressembler à s'y méprendre à ceux qu'ils ont chassés de pouvoir... Et "Animal farm" redevient toujours "Manor farm"...
 
 
* voir "La ferme des animaux" de G.Orwell
 
** Allusion mode d'emploi : Pour les trop jeunes ou les trop amnésiques, les billets de 200 francs étaient illustrés avec un portrait de Montesquieu tandis que Delacroix, le barbouilleur des révolutions, avait sa tête sur ceux de 100 francs.


10/09/2010
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